Afrique subsaharienne : Résilience et vulnérabilité de la ressource en eau souterraine aux changements climatiques

L’eau souterraine, ressource vitale pour l’alimentation en eau potable et pour l’irrigation en Afrique subsaharienne, présente une certaine résilience aux variations et changements climatiques. C’est ce que révèle une étude coordonnée par un consortium international de 32 scientifiques, incluant les partenaires de l’observatoire AMMA-CATCH au Niger (Université Abdou Moumouni) au Bénin (INE et Direction générale de l’Eau) et en France (IGE), publiée le 8 août 2019 dans la revue Nature.

Forage équipé d’une pompe manuelle au Bénin : l’eau souterraine est utilisée pour l’alimentation domestique, © JM Vouillamoz, IRD/IGE

« L’eau souterraine est sans doute la solution la plus pertinente pour répondre durablement aux besoins croissants en eau »

L’eau souterraine joue un rôle central pour alimenter les populations d’Afrique subsaharienne car elle est largement présente, généralement de bonne qualité, et possède une capacité intrinsèque à amortir les épisodes de sécheresse et de variations du climat. Au Bénin par exemple, dans les roches de socle qui couvrent environ 80% de la superficie du pays, l’IGE et son partenaire scientifique de l’INE (Institut National de l’Eau) ont montré que la réserve en eau souterraine actuelle est d’en moyenne 440 litres par mètre carré de surface au sol, et que cette réserve peut amortir des changements sur une durée moyenne supérieure à 6 ans (Vouillamoz et al., 2015). Le Professeur Moussa Boukari (INE), qui a participé à ce travail, déclare : « l’eau souterraine est sans doute la solution la plus pertinente pour répondre durablement aux besoins croissants en eau et atteindre les Objectifs de Développement Durable n°2 (faim "zéro") et n°6 (eau potable pour tous) ».


Récolte et analyse d’observations multi-décennales

Le consortium de chercheurs a analysé conjointement des données hydrologiques de 14 sites dans 9 pays, incluant des données de l’observatoire AMMA-CATCH, pour mieux comprendre comment le renouvellement des réserves en eau souterraine répondait au climat. Pour cela, ils ont étudié les enregistrements de longues durées (plusieurs décennies) de niveaux d’eau souterraine qui sont rares en Afrique, ainsi que des données de pluie obtenues dans une large variété de climat, de très aride à humide.

Chronique des niveaux d’eau souterraine et de pluie dans une variété de contexte climatique (Cuthbert et al., 2019)

L’analyse de ces enregistrements indique que dans les zones humides comme au Bénin, l’eau souterraine est renouvelée essentiellement par l’eau de pluie qui s’infiltre directement depuis la surface du sol sur de large superficie. Dans les zones arides au contraire, le renouvellement de l’eau souterraine se fait généralement depuis des infiltrations localisées sous les cours d’eau temporaires et les marres des bas-fonds. Or, les études antérieures qui se sont intéressées aux ressources régionales en eau souterraine à partir de résultats de modèles de grandes échelles ont ignoré l’infiltration localisées sous les cours d’eau temporaire et dans les bas-fonds, et ont ainsi sous-estimé leur renouvellement et leur résilience face au changement climatique.

Par ailleurs, l’étude indique que le renouvellement des eaux souterraines dépend de l’intensité des pluies et pas uniquement de leur volume : ainsi, les fortes pluies et les inondations, qui pourraient être plus fréquentes dans le cadre des changements climatiques, pourraient être favorables à la ressource en eau souterraine.

La géologie joue également un rôle dans les volumes d’eau souterraine renouvelée. Valérie Kotchoni et Fabrice Lawson, doctorants du Bénin codirigés par JM Vouillamoz de l’IRD/IGE et co-auteurs de cette publication dans Nature, indiquent ainsi : « au Bénin, une étude antérieure montre que le volume d’eau souterraine renouvelé annuellement est presque 8 fois plus faible dans les roches de socle du centre du pays que dans les sables de la zone côtière, alors que les volumes de pluie annuelle et les intensités journalières sont peu différents (Kotchoni et al., 2018) ».

Élaborer des stratégies d’adaptations appropriées

« Cette meilleure compréhension des processus qui contrôlent le renouvellement des stocks d’eau souterraine est d’une grande importance pour estimer les impacts du changement climatique et ainsi élaborer des stratégies d’adaptations appropriées », souligne Jean-Michel Vouillamoz, hydrogéologue à l’IRD, qui a coordonné les analyses des données au Bénin.

Dans les zones sèches où l’eau souterraine est souvent la seule ressource pérenne, ces stratégies pourraient s’appuyer sur la prédiction des évènements de fortes pluies et d’inondations qui génèrent le renouvellement des eaux souterraines.

En savoir plus

Journaux scientifiques

Cuthbert, M.O., Taylor, R.G., Favreau, G., Todd, M.C., Shamsudduha, M., Villholth, K.G., MacDonald, A.M., Scanlon, B.R., Kotchoni, D.O.V., Vouillamoz, J.-M., Lawson, F.M.A., Adjomayi, P.A., Kashaigili, J., Seddon, D., Sorensen, J.P.R., Ebrahim, G.Y., Owor, M., Nyenje, P.M., Nazoumou, Y., Goni, I., Ousmane, B.I., Sibanda, T., Ascott, M.J., Macdonald, D.M.J., Agyekum, W., Koussoubé, Y., Wanke, H., Kim, H., Wada, Y., Lo, M.-H., Oki, T., Kukuric, N., 2019. Observed controls on resilience of groundwater to climate variability in sub-Saharan Africa. Nature 572, 230–234.

Kotchoni, D.O.V., Vouillamoz, J.M., Lawson, F.M.A., Adjomayi, P., Boukari, M., Taylor, R.G., 2018. Relationships between rainfall and groundwater recharge in seasonally humid Benin : a comparative analysis of long-term hydrographs in sedimentary and crystalline aquifers. Hydrogeology Journal, 27 (2), 447–457.

Vouillamoz, J.M., Lawson, F.M.A., Yalo, N., Descloitres, M., 2015. Groundwater in hard rocks of Benin : Regional storage and buffer capacity in the face of change. Journal of Hydrology 520, 379–386.

Journaux grand public

The Conversation, 07/08/2019 : Groundwater reserves in Africa may be more resilient to climate change than first thought.

Le Point, 15/08/2019 : Réserves d’eau souterraine : l’Afrique subsaharienne pas si mal en point.

Mis à jour le 30 août 2019